samedi 16 décembre 2017

LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine


Roland ravala ses angoisses et tapa la pancha comme au temps de Padovani, des Horizons bleus ou de la Madrague, les plages algéroises que fréquentait la bande. A Alger, la fidélité était un maitre mot. Une bande de garçons choisissait une plage, un café, un stade et s’en tenait une fois pour toutes. Cela était également valable pour les familles qui désiraient garder un œil sur les faits et gestes de leurs filles, réputation oblige !
Paulo étonnait à plus d’un titre, plaisantant avec les naïades comme au bon vieux temps de l’insouciance. Lorsque Padovani l’enroulait dans ses vagues pour une journée de folie et que le trajet plage-rocher plat décernait un brevet de natation aux yeux des copains et, surtout, des petites amoureuses.
Aujourd’hui, les amourettes avaient déserté les plages algéroises pour se perdre dans les frimas de l’hexagone. Paulo noyait son désespoir en riant à gorge déployée à la moindre plaisanterie comme s’il refusait le mal qui le rongeait. Où puisait-il la force de sourire et de montrer le même visage qu’autrefois ? Ses amis tentaient de ne pas laisser apparaitre le moindre signe de faiblesse afin que sa détermination ne soit pas troublée par la morosité de Roland qui ne parvenait pas à dissimuler sa colère.
Richard tenta de le distraire en lui proposant de jouer aux têtes comme ils le faisaient jadis lorsque la pluie les calfeutrait à l’abri d’une entrée de maison. Mais le cœur n’était pas à la fête dans le cœur de l’américain.
--Allez pour Paulo, mets ton chagrin dans ta poche et viens lui montrer ton visage de babao ! Qu’est-ce que tu crois, on a tous envie de se taper la tête contre les murs mais pour Paulo, on n’a pas le choix. Il veut voir l’insouciance dans nos yeux pour être heureux. On lui doit bien ça, putain !
--Excuse-moi……… allez viens on va les rejoindre dans l’eau ! Proposa Roland en se souvenant de ses folles cavalcades à Padovani.
Des Aya zoumbo, longs comme le bras, accompagnèrent les plongeons des deux amis qui éclaboussèrent Victor qui discutait sagement avec une naïade. Aya zoumbo était le cri poussé par les garçons pour se donner du courage lors d’une rixe, d’un plongeon, d’une course à pied ou de quelque effort à fournir.
Paulo qui devenait leur seule préoccupation riait et c’était bien là le principal. Le bonheur de l’enfance avait pris le virage du malheur mais si le cœur saignait, restait l’amitié du moment à partager avec Paulo......................

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.....................Ils étaient, là, tous les cinq. Silencieux. A goûter l’instant présent. Assis face à la méditerranée. Tels des enfants devant une tendre amie qui berça leur jeunesse. Qu’ils avaient délaissée bien malgré eux, qu’ils retrouvaient certes, plus froide, moins bleue et moins iodée mais toujours aussi belle. Maitresse des étés somptueux qui offrait sa nudité à chaque coin de rue, surgissant de partout pour rappeler que la ville était fille de méditerranée. Complice des premiers balbutiements amoureux qui les déposèrent, un jour de pluie, sur l’autre trottoir de la France.
Ils profitaient de ces moments d’éternité qu’ils savaient être les derniers. Ultime saison resplendissante avant l’automne de la solitude et l’hiver de l’inhumaine séparation. Après le désespoir de l’amputation de la fratrie, viendra le temps de La cruelle absence.
Profiter du temps présent, humer l’air pur de l’amitié, taper cinq en douceur, parler encore et toujours des rencontres au stade municipal ou à Saint-Eugène, évoquer le jardin Guillemin, sa fontaine et son manège, les andar et venir de l’avenue de la Bouzaréah, pour un appel au secours déguisé en retrouvailles. Et pour rien au monde, il fallait s’y soustraire.
Les amis avaient répondu présent comme un seul homme. Quel plus bel exemple que cette amitié d’enfance qui sut résister à l’éparpillement du féroce exode pour un dernier été de feu? Il fallait enfouir sa rancœur devant la maladie et rire comme avant, taper cinq comme avant, se souvenir de l’enfance, faire comme si l’amitié devenait une ile déserte où le temps se figeait avant l’ignominieuse vérité. C’est ça, faire comme si………………….
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...........L’envie de faire illusion était la plus forte. La bande s’en rendait compte avec cette remontrance de Richard envers Paulo. Il n’y avait plus de maladie, plus de tragédie encore moins de fatalité mais seulement une saine volonté de perpétuer l’insouciance tout en protégeant l’amitié de Paulo.
--Paulo tu connais un restaurant de chez nous ?
--Non seulement je connais mais en plus le dessert, on le prendra chez Grosoli.
Jacky regarda Paulo, se tourna vers Roland et, dans un sourire, lança à la ronde.
-- Tain, je m’rappelle Grosoli, dé !
--Vous allez pouvoir vous taper le créponné, comme à Alger !
--Où ?
--Avenue jean Médecin
--Y a du vrai créponné ? S’étonna Victor.
--C’est Grosoli, le Grosoli de Bab El Oued !
--Jure!
--Sur ma vie !
Sur ma vie avait-il juré ! La preuve était fournie. Paulo avait oublié, le temps d’une journée, sa maladie. Quelle victoire. Pour lui et pour ses amis. Il fallait le garder dans le même état d’esprit. La fraternité pour seul alibi et seul objectif. Comme au temps de l’enfance. Quand l’amitié se déclinait dans un grand éclat de rire et un immense tape-cinq. Quand le ciel d’Alger se parait d’or pour bronzer ses enfants et que la richesse du cœur valait tout l’or du monde. Lorsqu’une poche trouée se fichait d’une place de cinéma, qu’une baignade à Padovani valait toutes les vacances du monde ou que l’avenue de la Bouzaréah se transformait en Sunset Boulevard.
--Bon, les enfants, si on doit souper dehors, il serait bon d’aller se reposer un chouïa !
Victor ne comprit pas de suite la proposition de Jacky. Un regard de Richard suffit pour le ramener à la cruelle réalité. Paulo avait besoin de se reposer.
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............................Un éclat de rire par-dessus et la soirée se poursuivit dans la bonne humeur. Paulo étonnait par sa disponibilité et ses réactions aux plaisanteries des uns et des autres qui n’étaient pas avares de persiflage. A vrai dire, il n’était jamais le dernier à lancer une boutade afin de déclencher le rire. Paulo restait tout simplement le Paulo de Bab El Oued, le Paulo de l’enfance à l’adolescence, le Paulo de toujours.
Ce fut une soirée mémorable qui laissa à Richard un goût amer annonçant la perte programmée de Paulo. Il demeura sur la terrasse comme s’il refusait que le jour se lève et avec lui, la triste réalité qu’il fallait dominer. Il ferait semblant, il feinterait la bonne humeur. Il jouerait la pièce de sa vie pour Paulo. Il avait, plus d’une fois, déceler dans le regard de ses amis, la folle angoisse du lendemain. Le courage que montrait l’amitié devant pareil tourment encourageait sa réflexion mais, au bout du bout de la tristesse, le visage hideux de la mort s’imposerait. Dormir pour ne plus penser était la seule alternative de l’instant. Demain sera un autre jour.
Roland lui apporta une couverture pour réchauffer son cœur froid. L’abandon de la terre natale entraina l’exil volontaire de Jacky et Roland en Israël et aux Etats Unis. Leur départ fut une blessure qui saigna un temps mais le temps assécha les larmes et l’affection par correspondance supplanta l’amitié physique. Et surtout, l’avion n’étant pas fait pour les chiens, demeurait l’espoir de se revoir. Mais Richard ne pouvait admettre la disparition de Paulo.
--Vous deux, vous nous avez quitté pour un avenir meilleur. On s’est consolé en pensant à votre bien-être mais Paulo, la putain……………Paulo !

Demain sera un autre jour. Bientôt, la litanie des jours tristes prendra l’amitié par la main pour la guider sur le chemin de l’avenir. Mais en attendant, il fallait rire à perdre haleine comme des enfants qui se retrouvent pour chanter à l’unisson et se souvenir d’une adolescence interrompue pour raison d’état, il fallait faire semblant, masquer l’émotion devant celui qui va mourir, échanger le tape-cinq sonore de la complicité. Ce sera leur façon de lui tenir la main sans être présent physiquement, de l’accompagner vers le royaume des cieux en empruntant le chemin des écoliers. Leur façon de lui murmurer à tue-tête qu’il sera toujours dans leurs cœurs quelle que soit la ville où ils poseront leurs valises d’apatride. Sans Paulo, ils se sentiront orphelins. Même si Jacky replantera ses racines sur un sol hospitalier, il sera marqué à tout jamais. Mais les autres…………..
Richard à Paris, Victor à Marseille, Jacky à Netanya et Roland à Miami, le quintette algérois entamera une symphonie inachevée à quatre mains.

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