RICHARD
Richard Sebaoun avait été un garçon heureux parmi les
hommes. Au milieu des gens de sa race. Avant l’indépendance de sa terre natale.
En exil, il avait erré loin de ses amitiés d’enfance. A la recherche d’un
regard, à l’espérance du hasard. Et puis, le temps tamisa son chagrin. A Paris, il rebondit,
retrouva l’amitié de quelques-uns et vécut une vie de célibataire endurci
cadencée par les rencontres d’un soir et son travail de reporter-photographe.
Mais, orphelin de soleil et d’azur, il sombra dans une douce mélancolie. Le
ciel de pluie et l’horizon plombé ne
firent pas bon ménage avec ses souvenirs ensoleillés. A l’approche de la
quarantaine il prit un billet pour la lumière aveuglante du midi. Ce n’était
pas la méditerranée de sa jeunesse mais il sut s’en contenter.
Loin de la vie trépidante de Paris, Richard ouvrit un
studio photo. En parallèle, il prit le temps de coucher sur papier nostalgie
son Algérie natale. Cinq ouvrages lui ouvrirent les portes d’une maison
d’édition provençale. Les années défilèrent si vite qu’il atteignit la
cinquantaine sans même s’en rendre compte. Jusqu’au jour maudit qui lui coupa
les ailes.
Hier, Richard était le roi du monde. A présent, il n’est
plus que le vassal de son corps désarticulé. Même entouré, il côtoie la
solitude. Un accident de la vie l’a jeté à terre. Huit mois à se relever.
Pour se mouvoir en claudicant appuyé
sur une canne tripode ou s’asseoir dans un fauteuil handicapé.
Sa vie ne ressemble plus à rien. Tributaire des autres
pour seule alternative. Il lui fallut admettre la cruelle vérité : la guérison
restera à jamais illusoire. Entretenir son corps afin qu’il ne se dégrade pas
demeure la seule recommandation des médecins.
Ses amis d’enfance ont choisi d’autres cieux. Miami et
Israël, terres d’asile pour un Exodus à l’envers. Les copains ont déserté le
rivage. Son amie s’en est allée vers un autre soleil.
Ce fut la grande dérobade. Pestiféré pour l’éternité.
Seule l’amitié de l’enfance mérite reconnaissance comme unique certitude.
Plus question de conserver son métier de photographe.
Comment tenir un appareil avec la seule main gauche ? Plus conduire, plus de
bains de mer, de balades en voiture, de
sorties sans être tributaire des autres. Des gestes aussi simples que trancher
le pain, couper une viande, manger du poisson demandent l’aide d’une bonne âme.
Dorénavant, il est seul. Démuni. A quoi bon continuer. Ne reste que l’abandon,
la démission, le suicide ou le défi de continuer malgré tout. Mais la solitude,
la cruelle solitude……..
Demeure Robert, l’ami des rues de son enfance qui remonte
le moral défaillant au téléphone. Habitant à Marseille, il sait réconforter
son ami de la première heure qui usa ses
culottes courtes sur les mêmes bancs de l’école. A Alger. Puis Paris avant
l’azur méditerranéen.
Ne pas devenir un poids, garder l’estime de soi, refuser
d’être l’empêcheur de tourner en rond. Alors, rester chez soi. Refuser la
multitude. Se dérober. Se chercher des excuses pour ne pas gêner. Se replier
sur ses souvenirs. Ecrire pour garder la tête froide. Pour passer le temps et
ne pas penser à soi. Parler des autres, de ses amis d’enfance, plonger dans
l’eau bleue de sa jeunesse, oublier le présent pour revivre le passé.
L’écriture pour seule consolation. Pour seule alternative.
Les Editions Sévigné promettent de poursuivre leur
collaboration Alors, vogue la galère………
*****
Richard subissait sa vie. Il avait emménagé dans un petit
deux pièces au bord de la mer. Un rez-de-chaussée pour accéder facilement à son
logement. Il avait espéré retrouver non pas la totalité de ses mouvements mais
du moins la faculté de se mouvoir sans une aide extérieure. Au bout de huit mois de souffrance, il avait dû se rendre à l’évidence, il ne serait
plus qu’un handicapé. Solitaire parmi les hommes, il se préparait à une vie
d’ermite entrecoupée par le passage d’une bonne fée que l’on nomme
aide-ménagère. Il imaginait ses matinées au soleil de méditerranée et ses
après-midi selon son humeur, tantôt sur l’ordinateur, tantôt assis à une
terrasse toute proche de son domicile. Pas de promenades, de parties de cartes,
de visites impromptues, de déplacement plus ou moins éloigné, pas de, plus de,
pas de……………...
Il lui fallait s’adapter à cette nouvelle situation du
handicap irréversible qui n’arrive pas seulement aux autres. Et cette solitude,
triste compagne de ses jours sans joie à maudire ce corps désarticulé, ce
cerveau qui avait résisté au naufrage, juste ce qu’il faut afin de conserver
assez de raison pour faire face au déraisonnable, ce cerveau qui conservait suffisamment de faculté pour évaluer sa déchéance et
ressasser son mal être. Pour ressasser la perte de son amour. Ecrire jusqu’à
épuisement, source tarie de l'encrier vide, bousculer la mémoire, se souvenir
des doux instants ou regretter les jours heureux, quand on se sentait le roi du monde. Ecrire
et réinventer sa vie, s’accrocher à la moindre parcelle de joie de vivre,
écrire pour ne pas sombrer dans le tourbillon de l’ennui. Boulimie d’écriture
pour ne pas sombrer.
Face à la mer, assis sur un banc, il suit du regard les
baladins de fin d’après-midi. Malgré lui, il les envie. Beaux ou laids, ils
marchent, se déplacent sans gêne, sans mesurer, toutefois, le bonheur d’aller
et venir sur la grande promenade des gens heureux. Le bonheur d’hier apparaît,
alors, dans toute sa cruauté quand le malheur frappe à sa porte. Mais rien n’y
fait, il est trop tard. Il lui faut se
résoudre mais comment se résoudre au malheur perpétuel. A la solitude de l’âme,
du corps et de l’esprit.
Pouvait-il deviner qu’une bonne étoile se pencherait sur
son destin? Une femme blessée par la vie qui refusait l’amour et préférait se
retrancher derrière le miroir aux alouettes. Pouvait-il imaginer qu’une
jeunesse serait sensible à sa façon d’exprimer le désespoir en se cachant derrière un humour
embué. Avait-il seulement songé à ces âmes bouleversées qui vivent par
procuration l’aventure d’un autrui entraperçu au détour d’une fiction, de peur d’endurer une passion
malheureuse?
*****
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire