jeudi 18 février 2010

MAURICE EL MEDIONI "l'inventeur du pianoriental"


L'inventeur du "pianoriental" savoure le succès à 78 ans.
À Oran dans les années 50, Maurice El Medioni commence par façonner les nouveaux sons du raï. À Paris, dans les années 1960, il est un des piliers de la chanson “franc-arabe”. Après une trentaine d’années passées loin des scènes à Marseille, la musique illumine sa retraite d’une nouvelle jeunesse. En 2006, l’inventeur du style “pianoriental” publie son quatrième album, enregistré à New York avec le groupe cubain de Roberto Rodriguez. Le beau cadeau d’un homme de 78 ans.
“Je suis issu d’une famille musicienne. Mon oncle paternel Saoud El Medioni, dit Cheikh Saoud l’Oranais, était le professeur de Reinette l’Oranaise et de Lili Boniche.“À neuf ans, j’ai eu l’immense surprise de trouver à la maison un piano, que mon frère aîné avait acheté au marché aux puces. L’instrument sonnait comme une vraie casserole. Je m’y suis mis malgré tout et, huit jours plus tard, je jouais des deux mains sans avoir jamais pris aucun cours.”

“Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. J’étais alors un petit Gavroche. Je n’allais plus à l’école, simplement parce que, étant Juif, on m’en avait renvoyé en 1940.” “J’avais quatorze ans quand les Américains ont débarqué. Avec eux, j’ai commencé à fréquenter les bars et les 'Red cross', qui étaient les lieux de rencontre pour soldats américains. La compagnie d’un gamin de mon âge qui savait jouer du piano, ça les mettait en joie. De temps en temps venaient des soldats noirs qui savaient jouer le boogie-woogie et j’ai découvert cette musique. Je les regardais et, de retour à la maison, je tapais de la main gauche le boogie-woogie dans les graves et je faisais des variations à la main droite.”“À Oran, il y avait aussi un corps d’armée américain de Porto Rico. C’est en les côtoyant que j’ai connu la musique latine : rumba, chachacha… J’ai donc appris le jazz et le latino avec les soldats américains, qui me chantaient les airs de chez eux.”
Après le départ des Américains, j’allais régulièrement au café Salva pour jouer à la belote. Mais mes camarades venaient me trouver en me disant : 'Allez Maurice, laisse tes cartes et vient plutôt nous jouer un boogie-woogie ou une rumba !' Et je le faisais.”“Un jour, trois jeunes Maghrébins qui m’avaient vu jouer sont venus me demander de les accompagner sur du raï. J’ai proposé aux trois chanteurs, qui étaient aussi percussionnistes, que nous montions un groupe. Ils m’ont enseigné le raï et je leur ai appris à jouer la rumba, en utilisant la derbouka comme un bongo latino-américain, en ajoutant des claves et des maracas. C’est ainsi que j’ai mélangé au raï des rythmes latinos et du boogie-woogie, créant un nouveau style.”
De l’Opéra d’Oran à l’exil“J’ai cessé de jouer au café en 1950, quand Blaoui Houari, chef d’orchestre reconnu, est venu me chercher. Il m’a dit : 'Maurice, ta place n’est pas au café, mais parmi nous, en tant que soliste de l’orchestre oriental de l’Opéra d’Oran'. J’ai donc commencé à jouer avec son orchestre, ainsi qu’avec l’ensemble du directeur musical de l’Opéra d’Oran, le grand chanteur de musique classique andalouse Mahieddine Bachtarzi, également directeur d’une société musicale largement ouverte aux femmes et dont 70% des adhérents étaient des Juifs d’Alger, la Moutribia ('qui suscite l’émotion'). De grands chanteurs comme Lili Labassi ou Sassi en sont issus.”“J’ai quitté Oran en 1961 pour aller me fixer en Israël. Mais j’y ai vécu sept mois sans pouvoir m’acclimater. J’avais quitté l’Algérie avec tellement de peine et de contrariété qu’il s’en est suivi un ulcère d’estomac. Je souffrais du mal de mon pays… J’ai alors décidé de me fixer à Marseille en attendant de retrouver Oran. C’était en mai-juin 1962 et des amis m’ont fermement dissuadé de retourner dans une Algérie qui était à feu et à sang, prise entre les attentats du FLN et la politique de la terre brûlée de l’OAS.”
Avec les Orientaux de Paris“J’ai alors décidé d’aller vivre à Paris, où je pouvais exercer mes deux activités : mon métier de tailleur et la musique, qui venait en seconde position. J’ai pris contact avec Blond-Blond, à l’époque le chanteur fantaisiste de l’orchestre de Missoum, seul chef d’orchestre maghrébin qui faisait des émissions à la radio française. J’ai intégré l’orchestre grâce à Blond-Blond, qui peu après a fait entrer un guitariste du nom de Gaston Ghrenassia, futur Enrico Macias.”“En 1962-64, je travaillais au cabaret Le Poussin Bleu, près des Folies Bergères. J’étais l’accordéoniste de Samy El Maghrebi, de Lili Labassi et de Blond-Blond, qui se produisaient dans cette boîte, où je travaillais tous les soirs. De temps en temps venaient nous rendre visite Reinette l’Oranaise ou Lili Boniche, lequel avait dû abandonner la musique en professionnel depuis qu’il avait épousé une comtesse… On faisait des bœufs entre nous jusqu’au matin.”
Marseille et le retour de flamme“Parallèlement, je continuais mon métier de tailleur, que je ne voulais pas abandonner. Mais cette double activité me fatiguait beaucoup, si bien qu’en 1964, j’ai commencé à diminuer mon activité musicale au bénéfice de mon métier de tailleur. En 1967, je suis descendu au soleil de Marseille, où j’ai acheté un magasin sur la Cannebière en association avec mon frère aîné. J’ai réduit mon activité musicale à 90%. ”“En 1984-85, Reinette l’Oranaise a été réhabilitée par les artistes musulmans, qui reconnaissaient en elle une digne héritière des grands maîtres du 'haouzy', répertoire intermédiaire entre classique et populaire. J’ai eu le privilège d’être à ses côtés au théâtre de La Bastille, puis en tournée européenne, lorsque sa carrière a redémarré. Quant à moi, j’ai décidé de profiter de ma retraite pour me consacrer à la musique. J’ai ainsi enregistré mon premier CD, Café Oran, en 1997.”
Le couronnement d’une carrièreDepuis lors, Maurice El Medioni n’a plus cessé de jouer en France et dans le monde, accompagnant Lili Boniche et se produisant sous son propre nom. Son deuxième album pour le label berlinois Piranha Records a été enregistré en 2005 à New York en étroite collaboration avec le percussionniste et arrangeur cubain Roberto Rodriguez.Ce dernier raconte : “J’étais très ému quand j’ai rencontré Maurice pour la première fois à Paris, en 2005. Nous voilà, un Juif algérien d’Oran arrivé à Marseille via Paris et un Cubain d’El Vedado, La Havane, arrivé à l’East Village de Manhattan via Miami Beach. L’une des premières choses que Maurice m’a dite avec son accent franco-algérien passionné était : 'Roberto ! On va faire de la musique exquise. Les gens de ton pays et les gens de mon pays sont des gens magnifiques !' J’ai commencé à me détendre. À partir de ce moment précis, j’ai su que c’était le début de quelque chose d’extraordinaire.

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